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“L’euro/dollar à 1,34 fin 2014”

“L’euro/dollar à 1,34 fin 2014”




L’euro devrait continuer à se déprécier face au dollar d’ici à la fin de l’année selon Eric Buffandeau, Groupe BPCE.

Pouvez-vous revenir sur les causes de l’euro fort et sur les motivations de l’action de la BCE ?

La force de l’euro face au dollar tient d’abord à l’excédent de la balance courante de la zone euro, qui atteint 300 milliards d’euros sur l’an, soit 2,8 à 2,9% du PIB, contre un quasi-équilibre deux ans auparavant. Cet excédent est cependant dû à la faiblesse de la demande intérieure de la zone euro et non pas à une compétitivité à toute épreuve, hormis le cas allemand. De son côté, la balance courante américaine est en déficit de 2,5 à 2,6% du PIB. Cet excédent implicite d’épargne de la zone euro est renforcé par un processus de consolidation budgétaire plus rapide en Europe (vers -2,6% du PIB zone euro en 2014) qu’aux Etats-Unis (-5,5% du PIB en 2014). Ces phénomènes, qui sont a priori les déterminants traditionnels de l’évolution structurelle d’une monnaie, expliquent donc le maintien de la supériorité de l’euro sur le dollar.

Ajoutons à ces facteurs l’impact des actions prises par la BCE pour éviter l’explosion de l’euro, surtout depuis l’annonce de l’OMT (opération monétaire sur titres). L’intervention ferme de son directeur, Mario Draghi, garantissant que la BCE ferait tout pour préserver la monnaie unique, a créé une forme « d’aléa de moralité ». En effet, la BCE donne ainsi une assurance implicite contre le risque souverain. En conséquence, les investisseurs sont redevenus acheteurs des dettes de la zone euro, en particulier des dettes des pays périphériques, ce qui réduit évidemment les primes de risque des Etats concernés et accroît la fermeté de l’euro. N’oublions pas non plus qu’alors que la Fed, la Banque du Japon et la Banque d’Angleterre continuent d’inonder les marchés financiers de leurs devises respectives par des injections de liquidités, le bilan de la BCE s’est trouvé mécaniquement amoindri, du fait du remboursement mécanique des prêts à long terme aux banques commerciales effectués fin 2011 et début 2012 (VLTRO à trois ans). Dans ce contexte, il est difficile pour la monnaie européenne de se déprécier.

Si la BCE est intervenue, c’est à la fois pour réduire le risque déflationiste en zone euro (l’indice des prix à la consommation ne cesse de baisser depuis août 2012) et pour alléger les pressions haussières subies par l’euro. En effet, la montée de l’euro accroît également la désinflation par la diffusion du recul des prix des importations. Selon la BCE, 10% d’augmentation du taux de change effectif de l’euro réduirait l’inflation de 0,5 point de pourcentage. Etant donné les multiples annonces qui ont précédé la réunion du 5 juin, la BCE se devait d’intervenir concrètement cette fois. Elle a même annoncé davantage de mesures que ce qui était espéré, afin de restaurer la confiance : baisse des trois taux directeurs, extension et assouplissement des procédures de fourniture de liquidités aux banques, mais conditionnés à la distribution de crédits aux entreprises et aux ménages (hors immobilier, considéré plutôt en surchauffe). La BCE intensifie également le travail préparatoire pour un programme de rachats de titres adossés à des créances d’entreprise (ABS), permettant de stimuler le développement du marché de la titrisation des crédits aux entreprises (dont la taille est aujourd’hui réduite à seulement 120 Md€ d’encours). Enfin, si la BCE ne s’est pas engagée sur un programme d’achat d’actifs à l’américaine (Quantitative Easing –QE-), cette option n’est pas définitivement exclue, en cas de matérialisation du risque déflationniste, risque auquel elle ne donne encore qu’une faible probabilité d’occurrence.

Par ailleurs, il faut remarquer que le passage en territoire négatif du taux des facilités de dépôt accordées aux banques à -0,1% est une première historique pour une grande zone économique
(mesure récemment expérimentée au Danemark et en Suède, auparavant en Suisse). S’il s’agit, avec cette mesure, de pousser les banques à prêter leurs réserves excédentaires au financement de l’économie, c’est aussi un moyen supplémentaire pour affaiblir l’euro, en décourageant encore plus l’afflux de capitaux étrangers, du fait de rendements européens particulièrement peu attractifs.

L’euro-dollar est-il durablement entré dans un processus de baisse ?

Avec la baisse supplémentaire de la gamme de ses taux directeurs, la BCE guide (guidage prospectif ou « forward guidance » qualitatif) les anticipations des marchés financiers, en développant une stratégie plus opportuniste face à la normalisation monétaire annoncée Outre-Atlantique. Elle s’engage ainsi plus largement à garder des taux directeurs très bas plus longtemps que la Réserve fédérale, dont le programme de rachat d’actifs (tapering) doit s’épuiser en octobre prochain et qui se prépare déjà à durcir prudemment son principal taux directeur, peut-être dès mars 2015. C’est ce décalage entre les politiques monétaires des deux économies qui est d’ores et déjà identifié et anticipé par les marchés financiers (retour de l’euro vers 1,36$, contre près de 1,4$ en début mai). La désynchronisation des politiques monétaires devrait davantage expliquer l’évolution du change entre les deux monnaies, en poussant désormais à une dépréciation de l’euro face au dollar. De plus, la tendance de long terme plaide pour cette évolution : le différentiel de croissance potentielle entre les Etats-Unis (environ 2,5% l’an) et la zone euro (1 à 1,5% l’an) est tel que le dollar doit s’apprécier. La parité de pouvoir d’achat normale est estimée par l’OCDE à 1,29$.

Il reste que les effets tangibles des actions déjà annoncées et envisagées par la BCE (comme les ABS) ne devraient pas être visibles avant trois ou quatre trimestres. La BCE le sait, son action ne peut en aucun suffire à redresser l’économie de la zone euro. Des réformes structurelles restent indispensables, ainsi qu’une maîtrise des dépenses publiques, pour justifier sa stratégie audacieuse.

La réunion de la Fed du 19 juin a laissé entendre un report de l’augmentation des taux directeurs initialement envisagée au printemps 2015 et l’euro s’en est trouvé redynamisé…

La conjoncture américaine a déçu sur le premier trimestre (-1% l’an), en raison d’un sévère coup de froid. Cela étant, la tendance de reprise est bien réelle et les prochains trimestres dépasseront les 3% en rythme annuel. En effet, le chômage poursuit sa décrue (207 000 emplois ont été créés en mai 2014 et taux de chômage à 6,3%), le moral et la consommation des ménages repart, à l’image des indices PMI manufacturier (55,4 en mai, contre 54,9 en avril, largement au-dessus du seuil des 50) et non manufacturier (56,3, contre 55,2 en avril). Les entreprises présentent des comptes très favorables et l’immobilier confirme son redressement. En dépit du déficit public, de la contribution négative des acteurs publics à la croissance, d’une compétitivité encore inférieure à celle des pays émergents et d’un déficit commercial persistant, les Etats-Unis affichent une croissance solide.

Par conséquent, la politique monétaire va probablement changer d’orientation, alors que l’inflation se situe déjà à 2,1% l’an en mai et que la progression de l’activité peut dépasser 3% l’an en volume sur les trois prochains trimestres. Cependant, son durcissement monétaire restera très prudent, sans engagements trop précis dans le temps et fonction de l’évolution du chômage de longue durée et du contexte économique et géopolitique.

Les facteurs déterminants dans la normalisation du taux de change entre le dollar et l’euro sont bien présents, c’est pourquoi j’estime que l’euro devrait se situer dans une fourchette de 1,30-1,35$ à la fin de l’année et vraisemblablement plutôt 1,34$, contre 1,36 aujourd’hui. En cas de durcissement plus précoce de la politique de la Fed, l’évolution baissière de la paire de devises (sous l’effet de la hausse du dollar) pourrait s’avérer plus rapide. La mise en place de rachats d’ABS pourrait aussi, côté européen, accélérer la baisse de l’euro et donc de la paire euro/dollar.

Quelles sont vos anticipations concernant le yen et la livre ?

Dans la mesure où la politique monétaire de la Banque du Japon demeure très expansive, pour lutter contre la déflation, et où la balance commerciale se dégrade encore, notamment du fait de la perte de parts de marché dans les pays émergents, le yen semble voué à poursuivre sa dépréciation. Avec des niveaux proches de 1 dollar pour 102 yens, la parité de pouvoir d’achat de 103 yens n’est pas loin, mais le rapport pourrait atteindre 106 yens fin 2014 et même 110 yens au premier semestre 2015. En conséquence, l’euro pourrait valoir 142 yens à la fin de l’année, contre 138,8 aujourd’hui.

Quant à la livre, elle ne cesse pas de s’apprécier, en raison d’une vive croissance économique (3,1% sur le premier trimestre 2014 en rythme annuel), avec une baisse continue du taux de chômage jusqu’à 6,8%. Ce taux est inférieur à celui auquel la Banque d’Angleterre se tenait prête à augmenter ses taux directeurs, mais là encore, la prudence est de mise, face au plan d’ajustement budgétaire à l’horizon 2018. Un resserrement monétaire plus précoce (novembre 2014 ou février 2015, contre mai 2015, comme préalablement anticipé) soutiendrait la livre, qui est déjà trop forte, compte tenu d’un déficit courant record à 5,4% du PIB fin 2013. Un « policy mix » (politique budgétaire et monétaire) trop restrictif n’est pas souhaitable pour l’économie, alors que l’endettement à la fois privé et public du pays doit être réduit. La livre pourrait donc
atteindre le prix de 1,64$ fin 2014 ou au tout début 2015, du fait de comptes extérieurs lourdement dégradés. Si comme je l’ai dit, la paire euro/dollar est à 1,34$ et la paire livre/dollar est à 1,64$, la paire euro/livre devrait s’afficher à 0,82£ fin 2014, contre près de 0,798£ aujourd’hui.

Propos recueillis par Nadège Bénard